Europe & Monde = 15,00 €
Europe & Monde + Suivi = 17,00 €
France = 13,50 €
France + Suivi = 15,00 €

 

 

 





 

Thrash the Flash

Viens !


Marc Dufourd : guitares
Jean-Marc Foussat :
Synthi VCS3, etc…

 

extraits :

Grains de lumière

Grain de lumières

 


 

 

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Marc Dufourd est un musicien rare.  Tout juste lui connaît-on sa participation à un groupe légendaire et abrasif, Axolotl, ayant réalisé deux albums au début des années 80 : le premier, sans titre particulier, avec sa fameuse pochette ornée en papier de verre (du moins dans sa version originale de 1981, le disque ayant  été réédité par le Souffle Continu en 2023) ; le second, Outmanoeuvre, sorti en 1984 chez Cryonic Inc. Un musicien tellement rare (si l'on excepte quelques participations épisodiques aux aventures de Pascal Comelade, et à Hôtel Hôtel de Berrocal en 1986), que J-M. Foussat lui-même, acteur omniprésent de la scène musicale française, n'a dégoté dans ses archives qu'une quinzaine de minutes de son partenariat avec le guitariste, captées en huit  étapes en avril 1982 — bien qu'il existe un autre enregistrement de Thrash the Flash, mais en quartet (avec Jérôme Bourdellon et Léa Dufourd), La Reprise des vides. D'où sans doute l'idée de le sortir de sa retraite en 2023, pour ajouter une quinzaine de minutes de « Grain de lumières » aux « Graines de lumière » semées précédemment. Alors les graines bourgeonnent,  éclosent,  jaillissent  plus ou moins brutalement, souvent flamboyantes, certaines ne germent que partiellement, comme des lumières voilées , mais ça grince, ça couine, ça, éructe. Le « Grain de lumières  » serait  plutôt éclat vacillant d'une lumière soumise à des intensités électriques fluctuantes.

Pierre Durr

Revue & Corrigée n° 143

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Viens ! – Thrash the Flash
Marc Dufourd (elg), Jean-Marc Foussat (Synthi VCS3, vcl, guimbarde).
(FOU Records FR-CD 67), Distribution : SQUIDCO/SoundOhm/Les Allumés du Jazz

Ce vieux compagnonnage de Jean-Marc Foussat et de Marc Dufourd remonte aux temps héroïques d’Axolotl, quand de jeunes musiciens cherchaient une voie pour dépasser – par la bande d’arrêt d’urgence – et le jazz et le rock qu’ils aimaient mais que, décemment, ils ne pouvaient plus pratiquer. En ce début des années ’80 le free-jazz était déjà historique, les Anglais, les Allemands avaient déjà inventé une façon dite alors « européenne » ou « radicale » d’improviser librement et les pionniers, déjà, étaient devenus inatteignables. Il fallait chercher ailleurs. Certes, la musique concrète avait ouvert d’immenses champs sonores, les Bruts avaient donné droit de cité à des énergies sauvages, et Fluxus animait encore les esprits de son ironique présence agissante. Entre les synthèses impossibles et les conciliations improbables, de multiples formes de collage apparurent comme une solution viable, empruntant à tout sans s’identifier à rien, pariant sur la mixité, l’hétérogène, l’impur, maniant une variété impressionnante de matériaux au risque du cynisme. Il fallait, pour ne pas succomber à ce dernier une sacrée dose d’inconscience, de naïveté ou, simplement, d’amour et de bonne foi. Seules ces vertus terriblement datées permettent de se retourner sans rougir et de retrouver intact, vif et frais, le courant qui portait cette entreprise au fond désespérée de trouver une « chambre à soi » dans ces avenues de palais intimidants et ces canaux pourrissants.
            Une longue séquence subdivisée en huit sections nous livre l’état des lieux et des choses, en 1982. De trépidants larsens, des traînées ferraillantes de guitare électrique semblant provenir du fond d’une boîte de conserve ; une claudiquante polyrythmie, un groove synthétique et stylisé prolongé par un zoom arrière ouvrant dans le mouvement berçant d’une simple mélodie de cinq notes, le champ où se profilent cordes et cris en arrière-plan, dans le lointain ; des plages solitaires où, livrées à elles-mêmes, se déroule la chaîne rythmique un peu désemparée, des larsens sans réponse ; glissades, superpositions, croisements ; une walking bass perturbée, une guitare sèche ; même l’écho ébullient ou le souvenir fantasmé d’un Pierre Henri pop’ de la décennie passée ; de tout pour faire un monde, mais un monde à l’abandon, le reflux d’un rêve au moment de l’éveil : nous sommes bien à l’orée de ces années ‘80, depuis leur frange extérieure.
            Puis trente secondes d’une coupe sévère : un blanc. Plagé, mais ni indiqué ni titré : un trou. Un miroir sans tain : pas de reflet, la stupeur seulement de se trouver soudain à deux doigts de cet innommable, sans pouvoir y toucher.
            Alors, le repli. Une chambre d’ado un dimanche d’après-midi pluvieux, quelques accords balayés, une esquisse folk paresseuse qui prendrait presque les accents d’un charango, indifférents aux doux bruitages qui les accompagnent, un peu comme un chant de sirènes, la rumeur de la rue, striés, puis bourdonnants. Ou le petit matin fatigué d’une nuit d’excès. Des sonneries discrètes ne troubleront pas la douce régression distillée par le paresseux égrenage d’un chapelet de notes en regardant passer les nuages. Une vague électronique restera sans effet sur ce jeu alangui ourlé de guimbarde, étoffé des coassements de grenouilles artificielles. Une section en forme de constat sur le temps qui passe.
            Enregistré 31 ans après, ce deuxième volet est empreint de nostalgie, une modalité du temps passé, celui qui passe sans passer vraiment. L’intitulé de ces deux pièces dit d’ailleurs leur rapport en miroir inversé*  : Graines de Lumière et Grain de Lumières. Des multiples semences jetées à la volée à l’infinitésimale unité à laquelle elles se réduisent, grosse néanmoins de pluralité virtuelle, c’est le mouvement de l’attente à l’ouverture qui s’est joué dans ce troublant trou blanc.

Philippe Alen (Jazz In)


* Comme l’est, doublement, le mot « sonate » qui traîne, isolé sur la pochette. Doublement inversé, il fait suite à « ever » (au verso) lui-même envers de « rêve », ce  « toujours » ou « jamais » qui en est aussi une définition. On peut en effet entendre cette pièce de 2013 comme la réexposition de celle de 1982, après passage par le négatif de la plage absente mais centrale (le positif, le négatif comme le grain et la lumière renvoyant tous au principe de la photographie, reposant sur la figure de l’inversion – toujours au prix d’une perte, génératrice de nostalgie).